Patrick Müller se cherche une vie nouvelle, peut-être la vraie.
Joueur atypique, il a rangé ses crampons voici dix-huit mois, discrètement.On a longtemps considéré le joueur Patrick Müller comme une exception talentueuse égarée dans un milieu ne lui ressemblant pas, dans lequel il aura su imposer avec tact son improbable détachement.
Mais le footballeur n'existe plus, s'étant effacé entre-temps devant l'homme, découvrant à bientôt 34 ans une vie nouvelle, peut-être la vraie, plus proche de la réalité, loin des projecteurs médiatiques sous lesquels sa notoriété de sportif l'avait conduit. «Je suis en train de revenir sur terre. Je découvre un monde dont j'ai longtemps été éloigné. Lorsque vous êtes footballeur, tout est fait pour que vous oubliiez la réalité. On vous choie, vous êtes transporté dans un cocon.»
Pour le Genevois, être aussi sensible qu'attachant, cette vie-là s'est arrêtée au printemps 2010, quand il a repoussé une ultime offre du Servette au terme d'une saison blanche, restée sans match, qu'il a vécue en famille à Monaco. Aussi Patrick Müller, au bénéfice de la double nationalité suisse (par sa maman lucernoise) et autrichienne (son papa), a-t-il pris congé des terrains verts discrètement, dans l'anonymat d'un dernier club (Monaco) et d'un entraîneur (Lacombe) ne comptant plus sur lui. Au terme d'une année où il a été payé pour ne pas jouer. «Je ne me suis jamais dit qu'un entraîneur ne me faisait pas jouer parce qu'il ne m'aimait pas.»
Après 403 rencontres (12 buts) au plus haut niveau, il dispute le 12 avril 2009, de retour à Gerland, un 404e match à l'occasion d'un très symbolique Lyon-Monaco (2-2). Le défenseur l'ignore alors encore, mais ce sera le dernier d'une carrière riche de six titres de champion de France fêtés sous le maillot des Gones. Une filiation, un lien invisible unit toujours Lyon à celui dont Paul Le Guen avait fait son capitaine de route.
Il signe à la Juve sans y jouerPatrick Müller était joueur, il ne l'est plus. Bien des années plus tôt, sous la direction de François Vogel, papa de Johann, qui fut son premier entraîneur à Meyrin, se doutait-il de la trace qu'il allait laisser au firmament du football suisse? «Gamin, je n'avais pas de but. J'ai pris les choses comme elles venaient. Et tout est venu.»
Servette, Grasshopper, Olympique Lyonnais, une incursion de six mois dans la Liga espagnole aux Baléares (avec Majorque), Bâle, puis un retour à Lyon pour une deuxième période moins fastueuse car perturbée par les pépins physiques, l'AS Monaco enfin. Repéré par la Juventus alors qu'il s'est imposé aux Charmilles sous le maillot «grenat», il y signera aussi un contrat sans jamais pouvoir l'honorer. «J'ai passé la visite médicale et fait la photo avec le maillot avant d'être prêté à GC», se souvient-il, goguenard.
Sur une pelouse, il n'a jamais ressemblé à un vrai footballeur au sens où on l'entend conventionnellement, n'ayant ni la carrure ni les caractéristiques physiques - 68 kilos, 1,82 m.
Mais il avait bien davantage: un oeil. Une lecture et une compréhension du jeu rares. «Par rapport à mes qualités de base, j'ai eu plus que ce que je pouvais espérer. Junior, j'étais un gringalet, je ne mangeais rien. Je peux être un exemple pour tous ceux qui ne correspondent pas à la caricature et aux standards du footballeur classique.» Par la bonhomie souriante qui le caractérise autant que par sa modestie désarmante, l'élégant footballeur a toujours détonné, séduit ceux qui voyaient en lui un joueur dépassant son propre rôle.
Parce qu'il a toujours su compenser par son intelligence tactique ce qu'il n'avait pas au départ, Patrick Müller, défenseur lunaire des surfaces terrestres, a promené durant quinze ans sa silhouette aérienne sur tous les terrains de la planète. Avec son inimitable don d'être là où il faut sans en avoir l'air. Tant sa grâce déroutante, son sens élevé de l'anticipation et son talent naturel suffisaient à désarmer ses adversaires. C'est ce qui en a fait le patron de la défense suisse jusqu'à l'Euro 2008 - «ma plus grande déception», partagée par 7 millions de supporters.
Convoqué par Hitzfeld au printemps 2009, il vivra la double confrontation contre la Moldavie depuis les tribunes. L'autre jour, l'ancien international a suivi l'enchanteur classico espagnol. Lui aussi a vécu le sommet, touché au Graal, en Ligue des champions. «Je ressens parfois une forme de décalage. Est-ce vraiment moi qui ai fait tout ça? Avec le recul, on se perçoit autrement. J'ai de la peine à me persuader que j'ai vécu la même chose, la même ambiance sur le terrain que les matches que je regarde aujourd'hui à la TV.»
Si les louanges, unanimes, pleuvent, comment se juge-t-il? «Je ne sais pas vraiment où me situer. Ai-je été surévalué ou à l'inverse pas assez considéré? J'étais un joueur moyen, sans le plus qui m'aurait permis de recevoir des offres que d'autres, à l'époque à Lyon, ont reçues. J'ai toujours misé sur l'anticipation avec le risque, si je passais au travers, de ne pas pouvoir récupérer mon erreur par mes capacités physiques.»
Voir grandir ses enfantsVoici le Genevois aujourd'hui sans crampons, nu, désarmé face à lui-même mais non sans ressources, retiré du rythme berçant trop souvent des week-ends loin des siens.
Que va-t-il entreprendre, que fait-il déjà? «Je me pose pas mal de questions par rapport à mon avenir. Quelles sont mes réelles envies? J'ai la chance de ne pas être pressé par le temps. D'un autre côté, j'ai l'impatience d'entamer quelque chose afin de commencer une deuxième vie.» Les contours de cette renaissance demeurent flous. «Quand j'étais joueur, je rêvais d'une vie sans ballon. Aujourd'hui que j'ai la possibilité de repartir de zéro dans une autre voie, je sens que le football m'habite toujours. C'est presque la seule chose que je sais faire, même si je ne ressens aucun manque de ne plus en faire.»
Une certitude, de taille, s'est déjà imposée: au centre de son nouveau monde gravitera toujours sa famille, son épouse, leurs enfants, Norah et Dan, 6 et 4 ans. «Mes enfants, c'est le plus beau qui me soit arrivé. Ils ont pris le dessus sur tout. Je me préfère en papa qu'en footballeur. Je veux les voir grandir avant qu'ils ne soient trop grands.»
Aussi s'en occupe-t-il au quotidien, va les amener à l'école puis les rechercher. Par amitié pour Denis Duchosal, coach des M16 servettiens, et découvrir l'envers d'un métier qu'il épousera peut-être, Patrick Müller s'est temporairement improvisé adjoint de son vieux pote, partageant deux fois par semaine la vie des espoirs.
Au moment de sa patiente reconversion, il s'imagine aussi dans l'éducation, en lien avec le sport et les émotions que celui-ci procure, peut-être ailleurs encore mais sans trop savoir où. Quels que soient le domaine et le nouveau monde que l'ancien joueur aura choisi d'explorer, Norah et Dan en seront toujours les gardiens amoureux, ses repères complices.
source: lematin.chJe ne m'attendais plus à trouver des nouvelles. Qu'est-ce que ça fait plaisir d'en avoir